En 1878, A. Bardonnet a publié, sous le titre "Censif de Chizé", un état relativement détaillé de la châtellenie de Chizé, qu'il a attribué sans hésitation à l'administration d'Alfonse de Poitiers et sans chercher, semble-t-il, à le dater (1). Il est bien établi que la châtellenie a été tenue, à la fin du XIIe siècle, par Raoul II d'Exoudun, comte d'Eu (2), probablement par donation de Richard Coeur de Lion, puis par son fils Raoul III, mort vers 1246. Ce dernier ayant pour héritière une fille mineure, Alfonse a alors mis en sa main les châteaux du défunt situés dans le comté. Ainsi un compte de la Chandeleur 1248 (n. s.) mentionne-t-il en recette : "de terra comitis Augi defuncti, scilicet apud Metulum, apud Chisiacum, apud Syvraium et apud Banays, IICLXX libr. II sol. minus II den." (3). C'est pourquoi R. Favreau a pensé que le "censif" a été dressé après la mort de Raoul d'Exoudun, par les officiers d'Alfonse, pour percevoir les revenus (4). Or l'examen de quelques détails du document conduit à envisager une date bien antérieure à Alfonse de Poitiers.
Un chapitre est intitulé "Aput Chisicum, de feodo Ville Dessast pro domino Porteclia" (p. 131-132). Au chapitre "Census de fenestris foreste", on remarque : "Aimmericus de Rochefort, II fenestras" (p. 116). Un court paragraphe est consacré à Pierre Bertin : "Pro domino Petro Bertin" (p. 136), et on retrouve Pierre Bertin à Doeuil, avec des parsonniers (p. 141). Les deux premiers personnages sont faciles à identifier. Il s'agit de Porteclie, seigneur de Mauzé, et d'Aimeri, seigneur de Rochefort, qui sont dits décédés, en février ou mars 1220, dans une lettre de la commune de Niort à Henry III, publiée par Bardonnet lui-même, en introduction au "terrier du Grand Fief d'Aunis" (5). Quant à Pierre Bertin, ce doit être Pierre II Bertin que l'abbé Métayer a signalé entre 1202 et 1216 (6). D'autre part, à la fin du texte, on lit : "die sabbati post festum beati Bartholomei traditi fuerunt Constantino et Henrico Clerico, aput Chisic, rotuli exituum terre comitis in anno Incarnationis M° CC° XVI° " (p. 147).
Certes, on peut être en présence de copies (7) exécutées vers 1246 par les agents du comte Alfonse en vue de percevoir les revenus de Chizé, mais l'original est incontestablement antérieur à la mort de Raoul II d'Exoudun, survenue à Melle entre le 28 avril et le 17 mai 1219 (8). Le comte désigné dans le texte est le comte d'Eu et on s'explique que des "calige ferrae" prêtées à Hugues de Lusignan se trouvaient au château de Chizé (p. 78), Hugues de Lusignan étant le frère aîné de Raoul II d'Exoudun, disparu au siège de Damiette, en 1219 (9). Si l'enquête n'est pas de l'année 1216, elle ne peut être que de très peu postérieure.
Notes
(1) Archives Historiques du Poitou, tome VII, p. 73-147. "L'écriture était du XIIIe siècle; et le texte, concernant la châtellenie de Chizé, se rapportait évidemment à l'ensemble des documents d'Alphonse" (p. 73). Il ajoute, au sujet des deux transcriptions du texte : "et comme saint Louis et Alphonse avaient l'habitude de prendre deux agents pour chacune de leurs enquêtes, il n'est pas téméraire de croire que nous avons ici, quant à Chizé, la rédaction des clercs de chacun des deux enquêteurs" (p. 74).
(2) Robert Favreau, "La forêt de Chizé au Moyen Âge", dans Bulletin philologique et historique, année 1963, p. 137-138.
(3) Archives Historiques du Poitou, tome IV, p. 186.
(4) Robert Favreau, op. cit., p. 139.
(5) Mémoires de la Société des Antiquaires de l'Ouest, tome XXXVIII, 1874, p. 62.
(6) Revue de la Saintonge et de l'Aunis, tome V, 1979, p. 49-50.
(7) Il y a deux copies assez différentes du même état.
(8) Léopold Delisle, Bibliothèque de l'École des Chartes, tome II, 4e série, 17e année, 1856, p. 549.
(9) Ibid., p. 539.
Publié dans le bulletin de la Société Historique des Deux-Sèvres, 3e série, tome III, 1er semestre 1995, p. 169-171.