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Mémo : La religion dans le sud des Deux-Sèvres au XVIIIe et XIXe siècle

Source : Institut Géopolitique Jacques Cartier, Le sud des Deux-Sèvres : un pays de mission dans le Poitou du XIXe siècle : I/IV.

Article de Jacques Marcadé, professeur honoraire d’histoire moderne de l’Université de Poitiers

Extraits :

Nous pouvons, au plus, relever une allusion au sujet des élections de 1902 chez le P. Lapraz : «  le vote anticlérical est plus ancien » et ce jugement de F. Boulard, évoquant lors d’une conférence une baisse démographique à partir de 1850 : « la situation religieuse s’était déjà détériorée auparavant ». Peu de prêtres, édifices en mauvais état, indifférence et parfois hostilité des populations...

Nous avons retenu cinq vice-archiprêtrés du diocèse concordataire6, division qui a perduré jusqu’aux réformes de la fin du XXe siècle sous le nom de doyennés, que nous utiliserons dès le début. Il s’agit des doyennés de Beauvoir-sur Niort et de Prahecq dans l’archiprêtré de Niort et ceux de Brioux, Celles-sur Belle et Chef-Boutonne dans l’archiprêtré de Melle. Cela représentait, du moins en théorie comme nous le verrons, 56 paroisses dans la configuration du diocèse de Poitiers en 1803.

Entre Poitiers et la région étudiée se trouvait une des bases solides du protestantisme poitevin, le colloque du Moyen Poitou, qui englobait un certain nombre des paroisses étudiées. Dans quelques unes, la population protestante pouvait représenter plus de 90% du total face à une poignée de catholiques. Et les conversions obtenues dans la cadre des dragonnades n’ont pas eu de véritables conséquences. En 1769, les desservants de Beaussais et de Saint-Georges de Vitré reconnaissaient que leur paroisse était quasiment protestante : 23 catholiques sur 350 habitants, dans un cas, 23 sur 600, dans l’autre. Dans la majorité des paroisses, les curés mentionnent « pas de protestants », assimilant ainsi les anciens Nouveaux convertis. Mais sont-ils, pour autant sincèrement convertis ? Le rédacteur du Pouillé semble le croire quand il mentionne 600 communiants à Celles-sur Belle, alors qu’en 1769 le curé précise : 350 communiants et 300 protestants dans les hameaux. Le fait protestant est donc un facteur dont il nous faudra tenir compte dans l’évolution des mentalités religieuses.

Le conformisme légal sous l’Ancien régime pouvait masquer une certaine prise de distance à l’encontre de l’Église, en tant qu’institution. La crise révolutionnaire a fait craquer le vernis, laissant la région presque sans églises et pratiquement sans prêtres.

La région au XVIIIe siècle
C’est un contraste total avec la rigoureuse organisation napoléonienne : département, arrondissements, cantons et, parallèlement : diocèse, archiprêtrés, vice-archiprêtrés devenus doyennés. Non seulement diverses juridictions découpent cette petite zone : élection de Niort élection de Civray mais certaines paroisses sont parfois partagées entre deux institutions, ainsi Prissé entre l’élection de Niort et celle de Saint-Jean d’Angély. De même, une dizaine de paroisses rattachées au diocèse de Poitiers relevaient, avant 1789, du diocèse de Saintes. Enfin, sous une unanimité religieuse officielle, deux confessions cohabitent malgré la Déclaration de Louis XIV de 171511, et bien avant l’Édit de tolérance de 1787.

Dans 13 paroisses l’appréciation portée est sévère ; cela varie de «  terres très maigres » à Crézières ou Villiers-en bois à «  pas très bonnes » à Couture-d’Argenson en passant par «  sablonneuses et arides » pour La Foye-Monjault ou «  arides et sèches » pour La Bataille. A La Charrière «  une grande quantité de terres est inculte » et, à Marigny, les terres «  sont spongieuses, peu de récoltes ». Par contraste, les paroisses traversées par des rivières : Chef-Boutonne, Brioux, Secondigné … sont qualifiées de fertiles. Si les bleds sont recensés, en plus ou moins grande quantité, dans toutes les paroisses, à La Charrière, l’accent est mis sur le seigle. Des vignes sont évoquées en divers endroits mais surtout dans la partie occidentale sur les collines pierreuses : Augé, Saint-Étienne la Cigogne, La Charrière…. Nous sommes sur les marges de la région de Cognac et certains de ces vins sont brûlés et transformés en eaux de vie. Laissons la parole au préfet des Deux-Sèvres : «  Le sud ouest de cet arrondissement consiste en marais, ou, dans les lieux plus élevés, en terres arides, pierreuses, de très mauvaise qualité pour toute autre culture que celle de la vigne. C’est dans cette partie que l’on trouve La Foye Monjault dont François 1er buvait le vin avec grand plaisir ; il est encore assez délicat. Des propriétaires industrieux … récoltent beaucoup de vin, donnant de très bonne eau de vie qui passe dans le commerce pour eau de vie de Cognac [Mémoire sur la statistique du département des Deux-Sèvres …par le C. Dupin, préfet du département, Niort, An IX, p. 41.].

Par contre, vers l’ouest, la mention qui revient fréquemment est : brebis, l’animal des sols pauvres ou des maigres pâturages. La proximité de bois, ainsi que un droit d’usage, permet aux habitants de Villiers-en bois d’élever des porcs, base d’un petit commerce. Si les pâturages sont maigres, ou trop marécageux comme à Marigny, il faut noter que, depuis le début du siècle, certains paysans se sont tournés vers des prairies artificielles ; le sainfoin, connu en Saintonge depuis le milieu du XVIIe siècle a gagné cette région. Ce n’est donc pas une région repliée sur elle-même : les cultures fourragères apparaissent, ainsi qu’une nouvelle céréale, le maïs, dit blé de Turquie, dans les communes du sud-est qui bordent la Charente17. Ces tentatives d’innovation sont bridées non pas par la mauvaise volonté des habitants mais par l’opposition de l’Église qui voit apparaître des produits échappant à la dîme.

L’Église est, par ailleurs, largement possessionnée dans cette région. Le plus riche propriétaire est l’abbaye de la Trinité de Poitiers : 8000 l. pour la ferme générale de Secondigné et 2000 pour celle de Villemain. L’abbaye Sainte-Croix, de Poitiers, était aussi richement dotée. Elle possédait les seigneuries des Fosses, de La Bellotière et de Breuil Chizé, ce qui implique le droit de pêche dans la Boutonne, et des terrages au 1/6e aux Fosses, au 1/6e et au 1/8e au Breuil-Chizé. Cela n’excluait pas des rentes foncières sur les propriétés : 40 ha aux Fosses, et diverses métairies. Le fermage de l’ensemble s’élevait à 2120 l. en 1759 et à 4000 l. en 1778. Cette somme a été maintenue en 1785 mais le suffrage en eau de vie passe de 28 à 60 veltes. Lors de sa création, l’abbaye Saint-Jean de Montierneuf s’était vue attribuer un vaste territoire autour de Couture d’Argenson, ainsi que des vignes à La Foye-Monjault [Robert Favreau (sous la dir.), Saint-Jean de Montierneuf, Poitiers, 1996, p. 15.]. Le chapitre de Sainte-Radegonde est coseigneur des Fosses (500 l. en 1728).

Il nous faudrait ajouter à cette énumération d’autres prieurés comme celui de la Foye-Monjault dans le diocèse de Saintes : 6000 l. à la fin du XVIIe siècle.

Dans la partie qui relève de Poitiers nous constatons que l’encadrement était largement suffisant. Toutes les paroisses avaient un desservant et, entre 1771 et 1786, onze vicaires ont, en sus, été en poste, même dans une petite paroisse comme Saint-Martin de Bernegoue24. Ce qui frappe, lorsqu’on consulte le tableau des nominations25, c’est la durée de résidence dans une même paroisse : Drouet est à Mougon depuis 1759, Pretet à Asnières ou Cellin à Celles-sur Belle depuis 1754, le record étant détenu par Sanault, à Aigonnay depuis 1744. Vingt sept autres prêtres étaient dans la même paroisse depuis plus de 20 ans, et même plus de 30 pour quatre d’entre eux. Dans le cours du siècle, nous pourrions prendre d’autres exemples : Rambault est resté 56 ans à Chef-Boutonne (1727-1783), Charboneau 37 à Augé (1743-1781) ou Gigou de Saint-Senne 34 à Paizay-le chapt (1747-1781). Cela laisse supposer un long contact avec les paroissiens et la possibilité d’un travail pastoral efficace. En 1769, aucune plainte contre les desservants n’a été relevée ; mais les paroissiens auraient-ils dénoncé leur curé en présence des autorités diocésaines ? De fait, la seule critique contre le curé de Beauvoir-sur Niort a été aussitôt couverte par les déclarations en faveur de celui-ci.

Le préfet des Deux-Sèvres, Dupin, déclarait « La Révolution a montré que le paysan de la plaine était moins attaché à la foi de ses pères ». Après avoir visité cette région en 1769, Mgr de Saint-Aulaire écrivait « Dans le nombre de paroisses que nous avons déjà parcourues, nous avons été frappé de l’état déplorable où nous avons trouvé les églises de ce diocèse : nous avons presque douté de votre foi en voyant la pauvreté et la nudité de ces édifices.
L’église de Juscorps est «  en mauvais état ». Celle de Fors est «  fondue » et les fidèles doivent se contenter de la chapelle de l’aumônerie, qui aurait besoin de réparations.

Il est d’ailleurs significatif que les critiques qui apparaissent dans les Cahiers de doléances visent essentiellement la mauvaise répartition et le mauvais usage des biens de l’Église. Nombre de curés, simples congruistes, étaient sur le même plan que la plupart de leurs paroissiens. Certains cahiers s’attaquent nommément à des institutions ecclésiastiques qui retirent de larges revenus de la région, sans aucune contre partie, comme l’assistance aux pauvres. C’est le cas aux Fosses où l’on dénonce l’égoïsme de l’abbaye Sainte-Croix.

Aussi, pourrait-on simplement avancer l’idée que la religion est déjà plus pratiquée – conformisme oblige – que véritablement vécue. Pour évoquer la situation avant la Révolution, un desservant de Prahecq note : «  Le voisinage des populations protestantes, le laisser-aller, peut-être, des ecclésiastiques qui gouvernaient la paroisse, étaient causes du peu de foi qui régnait dans la localité. La majorité faisait encore ses Pâques mais la foi allait s’éteignant et l’indifférence se propageait de jour en jour ». [Arch. dioc. Poit., Prahecq, s. l. Prahecq. Le texte est postérieur à 1822 mais semble antérieur à 1830].

Le problème protestant
Nous disposons, pour une dizaine de paroisses d’une évaluation officielle, mais avec les techniques de l’époque : la diminution de la population entre l’Édit de Fontainebleau et 1716, date de l’enquête. A vrai dire, la diminution du nombre de feux, peut s’expliquer de deux façons : soit le départ de familles protestantes vers des zones d’accueil, soit le regroupement de foyers fiscaux à cause de la misère des dernières années du règne de Louis XIV. Cette interprétation ne doit pas être oubliée mais elle ne saurait, à elle seule, expliquer la chute démographique. Notons que, dans le cas de ces paysans attachés au sol, il ne s’agit pas de départs vers l’exil mais, bien plutôt, du repli sur une zone plus sure. Les renseignements donnés par le tableau de 1716 nous permettent de supposer l’existence de plusieurs communautés protestantes qui, pour leur chance, n’apparaissent pas dans le Rolle : ainsi, La Foye-Monjault et Le Cormenier auraient perdu un peu plus de 10% de leurs habitants. C’est dans le doyenné de Brioux que nous trouvons les chiffres les plus élevés : 30% des habitants aux Fosses... Mais, n’oublions pas que nombre de protestants sont restés sur place, composant ce que l’ont appelait les Nouveaux Convertis. Nous ne pouvons avancer de chiffres mais il est possible de constater, dans ce sud des futures Deux-Sèvres, la présence de minorités protestantes, plus ou moins importantes suivant les paroisses. Et, dans le cas des Nouveaux convertis, on peut douter de leur attachement à une Église à laquelle leurs ancêtres avaient été contraints de se rallier.

C’est aussi la conclusion de Marc Seguin sur la Haute Saintonge, si proche du nouveau diocèse : «  A la veille de la Révolution, un clergé de très bonne qualité mais une population catholiques et protestants mélangés qui ne savent plus très bien où est la « vérité» religieuse » et qui parfois n’a retenu que l’anticléricalisme.